Les chroniques de Nolwenn
Y a-t-il un droit à l’image des enfants sur les réseaux sociaux ?

13 mars 2024

« Chacun a le droit au respect de sa vie privée », énonce l’article 9 du Code civil. Mais la vie privée, qui plus est d’un enfant, est une notion difficile à circonscrire. Les titulaires de l’autorité parentale doivent être conscients qu’ils ne sont pas tout puissants et qu’il est de leur devoir de protéger leurs enfants, y compris d’atteintes à leur vie privée en préservant leur droit à l’image. A l’heure des réseaux sociaux, il est devenu courant de publier des photos de ses enfants. Les parents, responsables du droit à l’image de leurs enfants jusqu’à leur majorité, sont-ils autorisés à le faire ?

Pourquoi faut-il protéger le droit à l’image des enfants ?

Dans son rapport datant de 2022 (Rapp. Défenseur des droits, La vie privée : un droit pour l’enfant, 2022), le Défenseur des enfants, Eric Delemar, alertait sur la pratique de plus en plus courante de poster sur les réseaux sociaux des photos de ses enfants. Si le sujet mérite une alerte, c’est avant tout parce que les parents méconnaissent bien souvent les risques qu’ils prennent avec ce partage de photos. « En moyenne un enfant apparaît, avant ses treize ans, sur 1 300 photos publiées sur les comptes de ses proches ou les siens » (Rapp. Ass. nat. 2023, n° 908, p. 35). Or, aussi mignonnes et innocentes que peuvent être ces photos, elles sont très appréciées par les pédocriminels. En effet, « 50 % des photographies qui s’échangent sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents sur leurs réseaux sociaux » (Ass. nat. n° 758, proposition de loi visant à garantir le droit à l’image des enfants, p. 4).

A ce risque important s’ajoute une réflexion de fond sur le droit à l’image et au respect de la vie privée d’un enfant qui n’est peut-être pas d’accord pour que des photos de lui soient partagées en ligne. rappelait : « Trop souvent envisagé comme objet de droit plutôt que sujet autonome de droit, l’enfant est soumis à l’exercice de l’autorité parentale qui peut, pour le protéger et garantir son développement, limiter ses libertés, sans toutefois les annihiler. »

Une loi pour garantir le respect du droit à l’image des enfants

Dans un précédent article, nous parlions de l’arrêt du 9 février 2017 de la Cour d’appel de Paris, dans le cadre d’un divorce, qui interdisait « à chacun des parents de diffuser des photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent ». La jurisprudence établissait ainsi que poster des images de ses enfants sur les réseaux sociaux entrait dans la catégorie des actes non usuels.

Le législateur a jugé nécessaire de compléter la loi afin de consacrer la jurisprudence. C’est la loi du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants. Elle crée notamment l’article 372-1 qui établit l’exercice du droit à l’image d’un mineur appartient aux deux parents conjointement, donc comme un acte non usuel :

« Les parents protègent en commun le droit à l’image de leur enfant mineur, dans le respect du droit à la vie privée mentionné à l’article 9.

Les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image, selon son âge et son degré de maturité. »

Le droit à l’image suppose que pour diffuser l’image d’une personne, il faut avoir recueilli son consentement. Pour un enfant, il s’agit bien du consentement des titulaires de l’autorité parentale.

Droit à l’image, autorité parentale et contrôle judiciaire

« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. » (art. 371-1) Les parents exercent en commun l’autorité parentale, sauf exception ou décision contraire. Lorsqu’ils sont séparés, le législateur distingue les actes usuels, pour lesquels l’accord de l’autre parent n’est pas nécessaire, des actes non-usuels pour lesquels l’accord des deux parents est obligatoire. La cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est essayée à donner une définition des actes usuels, qui est régulièrement reprise par les guides administratifs et la doctrine : « des actes de la vie quotidienne, sans gravité, qui n’engagent pas l’avenir de l’enfant, qui ne donnent pas lieu à une appréciation de principe essentielle et ne présentent aucun risque grave apparent pour l’enfant, ou encore, même s’ils revêtent un caractère important, des actes s’inscrivant dans une pratique antérieure non contestée ».
En revanche, un acte ne peut pas être qualifié d’usuel « s’il rompt avec le passé ou, surtout, s’il engage l’avenir de l’enfant. La vie privée d’un enfant et son droit à l’image entrent dans cette seconde catégorie.

C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit du droit à l’image de l’enfant, en cas de désaccord entre les parents, la loi du 19 février donne au juge des affaires familiales la possibilité « d’interdire à l’un des parents de diffuser tout contenu relatif à l’enfant sans l’autorisation de l’autre parent ». Le non-respect du droit à l’image de son enfant, comme de toute autre personne, est passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (art. 226-1 du code pénal).

Les enfants eux-mêmes, devenus majeurs, peuvent porter plainte contre leurs parents et demander des dommages et intérêts en raison du préjudice personnel. Déjà en janvier 2018, le tribunal civil de Rome avait ordonné à une mère de retirer les photos de son fils enfant qu’elle avait publiées sur Facebook et l’avait condamnée à verser 10 000 euros de dommages et intérêts si elle ne s’exécutait pas ou publiait d’autres photos.

Dans son rapport, le Défenseur des enfants conclut : « La révolution numérique et la levée de certains tabous, notamment ceux liés aux violences dont les enfants peuvent être victimes, invitent à changer le regard porté sur la protection des droits de l’enfant, encore trop souvent réduit à l’état d’objet de droit. ». La loi du 19 février 2024 se veut « avant tout une loi de pédagogie ». Une pédagogie d’autant plus nécessaire pour accompagner ce changement de regard, voire de mentalité, et considérer l’enfant comme un sujet à protéger et non comme un objet de droit.

 

Illustration générée par IA

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